Le client cible est mort, apprenez le client ressource.
Il y’a des concepts et des expressions qui ont la vie dure au risque de se trouver en décalage de plus en plus flagrant avec la temporalité, l’humeur et la nécessité d’une époque. Ainsi en est-il de l’idée et du langage associé de « cible client » ou « client cible », cela s’énonce dans les deux sens et fait plus de dégâts qu’il n’y paraît auprès des équipes commerciales, ce particulièrement pour celles engagées sur des marchés B to B.
Historiquement le marketing a emmené dans ses bagages l’idée de segmentation de la clientèle, d’adaptation de l’offre à ces segments et à grand renfort de publicité et de mobilisation des équipes commerciales, à séduire et convaincre les différentes cibles de clientèle de consommer.
Ce marketing B to C (Business to Consumer) a fait des émules côté B to B (Business to Business) où l’on a tenté de reproduire le schéma gagnant en l’adaptant à des contextes de relation client plus singulière et plus exigeante, nécessitant notamment un dialogue, une compréhension des besoins et une adaptation des offres.
Si la transposition n’a pas toujours été aussi facile et probante en B to B il n’en demeure pas moins que ce langage « marketo-guerrier » s’est diffusé sans contrainte et a fini par s’imposer à tous sans que nul ne trouve à y redire. Qu’il soit ainsi utilisé par les marketeurs dont les doctrines et outils se sont partiellement nourries de l’histoire et de la stratégie militaire n’est pas choquant en soi.
Le fait que du côté des commerciaux il n’y est pas eu de tentative visible et / ou aboutie pour redéfinir la relation client en des termes mieux adaptés à ce qu’elle est et à ce que les enjeux actuels nécessiteraient qu’elle devienne, montre une fois de plus la pauvreté de la réflexion et le manque de réflexivité des acteurs du métier sur l’évolution de leurs pratiques professionnelles.
Au risque d’être à contre-courant et perçu comme donneur de leçon c’est l’inverse auquel il m’est donné d’assister depuis quelques années avec l’inflation du tout digital à toutes les sauces. Nouvel eldorado dont il faut être pour ne pas paraître ringard, les profils de prospects types, les persona calibrés au millimètre vont tous recevoir le même message stéréotypé, adapté à leurs attentes qui déclencheront l’envie d’entrer vraiment en relation avec vous…vraiment ?
Quid de la capacité à entrer avec sincérité et authenticité en relation avec l’autre ?
Quid des leviers de potentiel inexplorés en dépassant cette vision limitante de l’autre réduit à une cible ?
Qui d’apprendre à envisager cet autre et la relation comme une réelle ressource pour avancer et élaborer ensemble dans la direction d’un projet qui a du sens pour les 2 parties ?
Le client cible, une posture limitante et dépassée de la relation commerciale
Je suis coach professionnel et expert de la vente complexe notamment et considère que l’on ne peut se contenter de balayer d’une main l’objection. « Ce n’est pas grave, on continue de parler de cible, c’est du marketing, cela ne change rien pour les commerciaux… »
Comme si le commercial qui entend pendant des années, 20 ans, 30 ans parfois que ces clients sont des cibles et que son travail est de « viser au mieux » était sans conséquence sur la construction des croyances et représentations de son identité professionnelle, sur la vision du métier et finalement sur son exercice même par la mise en œuvre des comportements et relations associées.
L’air du temps est au collaboratif, au codéveloppement en interne, à la co-construction avec les clients. Nous souscrivons à tout cela et au-delà de la souscription pensons pouvoir dire que nous sommes des acteurs innovants et engagés sur ce terrain. Mais quid du cadre de référence ? Quel est le mode d’emploi du collaboratif avec une cible ? j’attends toujours le manuel…
Ce cadre de référence « du client cible » qui est très peu interrogé et parfois même magnifié s’avère être devenu contre-productif et réellement limitant en ce qu’il obère les capacités à construire autrement avec l’autre, c’est-à-dire dans la confiance, la parité, la co-responsabilité de la qualité et de la co-élaboration.
L’enjeu d’aujourd’hui est selon nous d’apprendre aux équipes à investir ce nouvel espace de la relation et de les aider à le faire dans le champ de la relation commerciale. Pour être fécond ce champ doit être redéfini sur des croyances nouvelles, adaptées aux temps actuels, aux attentes des acteurs et au-delà, de la société.
La nouvelle représentation de la relation que nous proposons pour ouvrir ce champ est celle du « client ressource ».
Le client ressource, une posture nourrissante et féconde de la relation commerciale
L’idée qu’un client puisse être au-delà du co-contractant d’un contrat, également une ressource pour la relation et le commercial est une idée nouvelle qui a été peu investie jusqu’à présent et qui est porteuse d’un joli potentiel de progression et de résultats.
Apprendre à regarder ses clients comme des ressources et non uniquement comme des cibles c’est s’ouvrir un accès à ces nouvelles ressources qui jusqu’à présent ont été peu ou pas exploitées.
Un enjeu important pour de nombreux commerciaux est donc de s’autoriser et d’apprendre à mieux utiliser leurs clients comme l’une des ressources complémentaires disponibles pour mieux avancer dans le sens d’un projet commun.
Si je vois l’autre sincèrement comme une ressource, je favorise plus ou moins consciemment que la ressource m’apparaisse là ou je ne voyais qu’un problème voire une opposition. Prenons pour rendre l’idée opératoire une situation concrète qui est celle de la conclusion d’un RV1 devant conduire à un prochain RV2.
Les bonnes pratiques enseignent que dans la mesure du possible c’est au commercial d’initier ce mouvement en résumant ce qui vient d’être dit et convenu, en proposant la prochaine étape dans un délais et avec les participants qui conviennent au contexte et à l’état d’avancement du projet. Voilà pour les principes généraux.
Dans la réalité, et ceci est d’autant plus vrai que le contexte est complexe, il existe de multiples raisons qui peuvent faire que ce mouvement naturel de conversion ne soit pas si simple à proposer de façon unilatérale. (Informations partielles du client, organisation complexe, acteurs non encore identifiés, confiance à consolider, discours confus, demande peu claire, etc…)
J’ai à ce stade 2 options à ma disposition :
- Une première qui consiste à proposer d’avancer au mieux avec les informations et perceptions dont je dispose au risque de passer en partie à côté d’une meilleure option.
- Une seconde qui consiste à utiliser mon client comme une ressource complémentaire pour m’aider à construire la meilleure option de conclusion et de prochain RV. Ce qui consiste à lui faire part de l’incertitude qui est la mienne et lui demander qu’elle serait de son point de vue la meilleure option.
Je peux témoigner que toutes les fois ou je me suis trouvé dans cette situation et ou mon interlocuteur était sincère dans sa volonté de poursuivre l’échange, je n’ai jamais été déçu bien au contraire.
J’ai souvent été surpris par la pertinence et créativité des propositions qui m’étaient faites et dont je comprenais avec le recul qu’elles s’appuyaient sur une connaissance interne et intime de l’organisation qui seule donnait accès au mode d’emploi et marge de manœuvre entre les acteurs sur les bonnes façons d’aborder tel ou tel sujet.
Nous pourrions multiplier les exemples sur de nombreuses étapes du processus commercial, tel n’est pas l’objet de notre propos aujourd’hui.
Pour conclure je proposerai cette métaphore sportive.
Apprendre à mieux utiliser son client comme une ressource c’est apprendre à jouer à 12 contre 11 là ou vos concurrents continuent de penser que vous êtes 11 sur le terrain.
A bon entendeur, bons matchs !
Par Fabrice lezeau,
Dirigeant du cabinet de coaching et formation INTERNESS Consulting
Coach accrédité Titulaire SFCoach,
Executive MBA & External lecturer ESSEC
Concepteur du « leadership collaboratif », auteur de « Ventes complexes : les chemins cachés de la performance » Editions EMS